La consécration du thème du « Préjudice professionnel des victimes directes et indirectes » par la 12e édition des états généraux du dommage corporel, témoigne de l’acuité de cette question, essentielle pour la reconstruction au plus près de la situation antérieure d’une victime. Or deux arrêts rendus par la Cour de cassation réunie en Première chambre (Cass Civ 1 11.12.2019 n°18-24.383) et Deuxième chambre (Cass Civ 2 ; 21.11.2019 n°18-20.912) témoigne d’un évident contrôle accru de la haute juridiction sur ce qu’il convient dorénavant d’appeler : « l’aptitude professionnelle conservée ».
Pour autant, ce paternalisme évident des juridictions ne doit immédiatement effrayer. Car sous réserve d’être bien maitrisées, ces nouvelles jurisprudences donnent les clefs guidant la liquidation du préjudice professionnel d’une victime de dommage corporel.
Dans le premier cas, un peintre en rénovation, victime d’un accident médical non fautif est licencié pour inaptitude et se voit indemnisé par la Cour d’appel d’Aix en Provence de sa perte de gains professionnels futurs via une capitalisation viagère et accessoirement de son incidence professionnelle liée à sa dévalorisation sur le marché du travail.
La Première chambre civile, invoquant le principe de la réparation intégrale, casse l’arrêt tout d’abord sur le principe d’une indemnisation viagère de la perte de gains professionnels futurs en jugeant :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans constater que l’intéressé se trouvait privé pour l’avenir de la possibilité d’exercer une activité professionnelle, la cour d’appel n’a pas donné de base légale au regard du texte et du principe susvisés ; ».
S’agissant d’indemnisation parallèle de l’incidence professionnelle la même chambre casse une nouvelle fois l’arrêt en indiquant :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’indemnisation allouée au titre de la perte des gains professionnels futurs sur la base d’une rente viagère, correspondant à une victime privée de toute activité professionnelle pour l’avenir, fait obstacle à une indemnisation supplémentaire au titre de l’incidence professionnelle fondée sur sa dévalorisation sur le marché du travail, la cour d’appel a violé le texte et le principe susvisés ; ».
Dans le deuxième cas, un mécanicien diéséliste est également déclaré inapte à son poste, mais non à toute activité professionnelle par le rapport d’expertise. Estimant qu’il ne démontrait aucune diligence en vue d’assurer son reclassement professionnel et demeurait apte à une activité, la Cour d’appel de RIOM limita sa perte de gains à une certaine somme.
Toujours au titre du principe de la réparation intégrale, la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt : « Qu’en se déterminant ainsi, sans relever qu’à l’issue de ces neuf années, M. O… pouvait, grâce à un reclassement professionnel, percevoir un revenu équivalent à celui que lui procurait l’emploi de mécanicien diéséliste qu’il occupait avant l’accident, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; ».
Dans un cas la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la victime bénéficiait d’une aptitude professionnelle conservée, dans le deuxième cas elle déplore que la Cour n’ait pas recherché si cette aptitude professionnelle conservée permettait de conserver un revenu équivalent à celui perçu avant l’accident.
Dès lors, il convient maintenant de distinguer deux hypothèses. Soit l’incapacité professionnelle est totale, à savoir que la victime est dans l’incapacité définitive de travailler. Dans ce cas, la perte de gains professionnelle futures et totale et viagèrement indemnisée au même titre que l’incidence professionnelle (Cass Civ 2 ; 13.12.2018 n°17-28.019).
En revanche, si la victime conserve une aptitude professionnelle, c’est uniquement la différence entre le revenu initialement perçu et le nouveau revenu de référence qui sera indemnisé viagèrement.
Immédiatement, il convient de rappeler qu’un rapport d’expertise se prononçant sur une aptitude professionnelle conservée n’a pas force absolue et que chaque victime peut et doit étayer sa situation pour établir ou non une inaptitude définitive, via notamment ses recherches d’emplois, des bilans de kinésithérapie ou tout autre élément.
Le deuxième apport de ces arrêts a trait à l’indemnisation de l’incidence professionnelle. En effet s’il est acté que ce poste de préjudice diffère dans son contenu de la perte de gains, leur mode d’indemnisation peuvent se regrouper notamment via une capitalisation viagère des revenus perdus. Effectivement il ne faut pas confondre l’objet de l’indemnisation avec le mode d’indemnisation. Il a toujours été convenu que certaines composantes de l’incidence professionnelle étaient indemnisées par une capitalisation viagère comme la perte de droits à la retraite ( Cass Civ 28.03.2019 n°18-18832).
Depuis peu, la Cour de cassation précise, sans que cela ne soit véritablement condamnable, qu’une capitalisation viagère revient à considérer que la victime n’a subi dévalorisation sur le marché du travail mais aussi ressenti aucune pénibilité, laquelle concerne les victimes continuant a travailler. Dans cette hypothèse, une incidence professionnelle liée à une pénibilité ou une dévalorisation sur le marché du travail ne peuvent pas être indemnisées accessoirement à une perte de gains capitalisée viagèrement.
Attention, tout d’abord cela ne vide pas l’ensemble de l’incidence professionnelle puisque d’autres composantes comme le préjudice de carrière recouvrant l’évolution perdue, le désœuvrement que représente l’impossibilité de travailler ou encore le redressement professionnel demeurent indemnisables.
Surtout, il est tout à fait envisageable de solliciter une capitalisation temporaire de la perte de gains et de solliciter accessoirement l’indemnisation personnalisée, pour toute victime d’un dommage corporel, de chaque composante de l’incidence professionnelle, permettant ainsi de dresser une image au plus proche de sa réalité.
Manifestement une méthode de la liquidation du préjudice professionnel est progressivement construite par la Cour de cassation, ce qui confirme la technicité de cette matière et la nécessité d’être accompagné à tous les stades du processus indemnitaire. Naturellement, Maître Thibault LORIN, avocat associé du cabinet AVOCODE met son expertise en ce domaine à votre disposition.
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