A l’heure où la situation sanitaire mondiale paralyse l’exercice de l’institution judiciaire française, il devient impérieux de proposer à la Haute Cour une mise à profit de la halte imposée par le confinement pour théoriser, en cohérence, la question du préjudice professionnel.
Le dernier article publié dans cette chronique, avait trait à l’arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2019 ( n°11.122019) conditionnant l’indemnisation viagère et totale de la perte de gains professionnels futurs, d’une victime déclarée inapte consécutivement à un dommage corporel, à la démonstration d’une privation « pour l’avenir de la possibilité d’exercer une activité professionnelle ».
Semblait crée la notion baptisée « aptitude professionnelle conservée » s’opposant à une indemnisation totale de la perte de gain consécutive à un licenciement pour inaptitude.
Or, un arrêt rendu le 5 mars 2020 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (n°18-25981) remet directement en cause cette solution, via l’application d’un principe constant, celui de mitigation à savoir l’interdiction d’imposer à une victime de minimiser son préjudice dans l’intérêt du responsable.
Au cas d’espèce, la victime d’un dommage corporel est licenciée pour inaptitude consécutivement à un accident, mais se voit proposer un reclassement dans un autre poste par son employeur. Refusant, sans possibilité de critique, les contraintes liées au reclassement et ne pouvant plus exercer ses précédentes fonctions, la victime refuse le reclassement et sollicite une indemnisation totale de son préjudice professionnel.
La Cour d’appel de Paris accueille sa demande et l’assureur forme un pourvoi, estimant que le reclassement proposé démontrait l’existence d’une aptitude professionnel conservée, laquelle s’opposait à l’indemnisation d’une perte de gains professionnels futurs.
Appliquant le principe de la mitigation, la Cour de cassation rejette le pourvoi rappelant que l’on peut ne peut faire obligation à une victime de minimiser son préjudice.
Cette solution, constante en droit français n’est pas impertinente en pratique. Il est admis en sociologie que le travail participe de l’identité d’une personne sans être réduit à un simple pourvoyeur de fonds. Au surplus, l’exercice d’une profession nécessite de manière quasi exclusive la construction préalable, par la victime, d’un capital regroupant enseignements et expériences pour accéder à la Profession de son choix.
Être dès lors dans l’incapacité définitivement constaté d’exercer sa Profession est une atteinte suffisamment sévère pour que d’une part il ne lui soit pas fait grief de ne pas vouloir en exercer une autre, moins qualifiante, et d’autre part qu’elle soit intégralement indemnisée de sa perte de revenus.
Naturellement rien n’empêche une victime de vouloir continuer à travailler et cette volonté exercée lui permettra d’ailleurs de prétendre à d’autres composantes indemnitaires comme une pénibilité, justifiant une incidence professionnelle, ce qu’elle ne peut faire en cas de non reprise d’une profession ( Cass Civ 2 ; 4 octobre 2018 n°17-24858).
Dès lors l’incidence financière n’entre même plus en ligne de compte et réduire ce débat à un aspect uniquement économique nous semble parfaitement erroné.
En revanche, il est difficilement entendable pour les victimes d’une part de voir la résolution de leurs sinistres retardées par l’allongement des délais de procédures et d’autre part de constater les divergences de solutions rendues par les juridictions.
Comment expliquer à une personne inapte à sa profession que la Cour de cassation fait, en mars 2020, application du principe de mitigation pour annihiler les effets d’une aptitude professionnelle conservée sur l’indemnisation d’une perte de gains, quand cette même aptitude est invoquée en décembre 2019 pour réduire son droit à indemnisation ?
« Ce qu’ils veulent, ce n’est pas la vérité, voyez-vous c’est la cohérence » dit Daniel PENNAC…
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