La formulation poétique du titre du présent article, est inversement proportionnelle à la lourdeur que représente, non pas les séquelles subies par les victimes de préjudices corporels, mais les drames procéduraux auxquelles ces dernières sont trop souvent confrontées.
Ces dernières années témoignent d’une crispation des échanges entre victimes, médecins et assureurs.
De plus en plus, la technicité de la matière est instrumentalisée, non pour parvenir à une indemnisation juste, même si cette finalité est invoquée, mais bien pour d’une part tenter de complexifier le débat en fragilisant les demandes indemnitaires et d’autre part allonger autant que possible les procédures.
Or les embuches procédurales, immédiatement perçues comme des déconsidérations pour les victimes de préjudices corporelles entame aussi leurs réserves énergétiques, laquelle devrait être exclusivement réservée à leurs reconstructions.
A l’heure où des médecins conseils d’assureurs, sont jugés pour avoir violé le secret médical (Cass, Crim, 16 mars 2021, n°20-80.125) il apparait plus que nécessaire de rediriger les débats indemnitaires vers leur but premier : celui de la réparation intégrale, certes sans profit mais aussi sans perte.
L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 avril 2021 (n°20-80.737) ayant trait à un accident survenu le 14 décembre 1997 et jugé le 17 novembre 2020 illustre ces drames procéduraux, la victime étant en l’espèce en procédure depuis plus de 10 ans.
Les faits étaient particulièrement sinistres. Un enfant de 2 ans est victime le 14 décembre 1997 d’un grave accident de la circulation lui occasionnant d’importantes et définitives séquelles neurologiques, entamant son parcours de vie.
Le conducteur du véhicule, est poursuivi devant la juridiction correctionnel, évaluant également sur le plan civil le préjudice de la jeune victime.
Or le conducteur n’étant pas assuré, le Fonds de garantie des assureurs obligatoires intervient à la procédure.
Le 17 novembre 2010, le Tribunal correctionnel indemnise la jeune victime, 13 ans après son accident, sur la base d’un rapport d’expertise rendue le 21 octobre 2009 et fixant une consolidation de son état de santé au 27 aout 2009, soit au 13 ans de l’enfant.
Le FGAO ainsi que le conducteur forme appel de cette décision, mais par erreur, la victime ne régularise pas un appel recevable.
A l’occasion de cette procédure d’appel, une critique est élevée sur les conclusions du rapport d’expertise et plusieurs contre expertises sont ordonnées.
La dernière, datant du 21 février 2018, fixe une date de consolidation de l’état de santé de la victime non au 21 octobre 2009 mais au 15 mars 2013 avec un taux de déficit fonctionnel permanent de 72 %.
Cette date apparaissait plus conforme à la réalité, dès lors que généralement, le préjudice subi par un enfant est apprécié dans toute son étendue aux alentours de sa majorité.
Le dernier rapport a mis en évidence le fait que le premier rapport de 2009 avait insuffisamment apprécié le préjudice de la victime, lequel ne pouvait être apprécié dans toute son étendue qu’une fois celle-ci devenue adulte, soit après 2014.
Saisie d’une évaluation sur la base du dernier rapport d’expertise, la Cour d’appel de Nouméa juge d’une part que faute d’avoir interjeter un appel régulier et d’autre part ne pouvant aggraver, en appel, le sort de l’appelant, en l’occurrence celui du conducteur, la victime ne peut solliciter l’indemnisation de nouveaux postes de préjudices subis depuis la décision de première instance.
Par ailleurs, la Cour constate que l’indemnisation allouée au titre de certains postes était insuffisante au regard du dernier rapport d’expertise, ayant conclu à une aggravation.
Cela étant, elle estime d’une part une nouvelle fois ne pas pouvoir aggraver le sort de l’appelant et d’autre part ne pas pouvoir indemniser spécifiquement les postes de préjudices compris dans celui dit d’incapacité permanente partielle (en l’occurrence le déficit fonctionnel permanent, la perte de gains professionnelle futurs et l’incidence professionnelle).
Pour résumer, la Cour d’appel, reconnaissant pourtant que le préjudice de la victime n’avait pas été totalement donc intégralement indemnisé, jugeait ne pas pouvoir indemniser les préjudices nouveaux ou aggravés depuis le jugement du 17 novembre 2010.
La Cour de cassation casse l’arrêt au visa du principe de la réparation intégrale.
Tout d’abord, la Cour juge que :
« Il résulte du premier de ces textes que la partie civile, même non appelante, peut demander un complément de dommages-intérêts pour le préjudice nouveau souffert depuis la décision de première instance et se rattachant directement aux faits dont il est la conséquence. Est de nature à constituer un tel préjudice celui qui s’est aggravé ou était inconnu à la date du jugement et sur lequel il n’avait pu être statué. »
La possibilité pour la victime de demander un complément de dommages et intérêts pour les préjudices nouveaux ou aggravés, donc non réparé, est donc déconnecté de l’impossibilité d’aggraver le sort de l’appelant dans une procédure pénale.
Il s’agissait d’une application stricte de l’article 515 alinéa 3 du code de procédure pénale :
« La partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois elle peut demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance. ».
Surtout, la Cour de cassation rappelle que la date de consolidation ayant été fixée au 15 mars 2013, soit après le jugement du 17 novembre 2010, le juge n’avait matériellement pas pu apprécier définitivement les préjudices subis, lesquels étaient nécessairement nouveaux.
En outre, la Cour rappelle d’une part que la Cour d’appel était saisie de toutes les composantes de l’ancienne IPP, lesquels pouvaient être indemnisés de manières distinctes et surtout que la majoration du déficit fonctionnel permanent entre les deux rapports traduisait une nécessaire aggravation laquelle justifiait une demande de dommages et intérêts complémentaires.
Cet arrêt n’est pas révolutionnaire, il s’agit d’une application du principe selon lequel le juge apprécie le préjudice au jour où il statue et que tout poste de préjudice non expressément visé par le dispositif d’une décision est présumé non réparé (Cass AP. 9 juin 1978 n°76-10.591).
La Cour pouvait naturellement indemniser les préjudices nouveaux ou les préjudices aggravés.
Or depuis plus de 11 ans la jeune victime n’est toujours pas indemnisée et il n’est pas difficile d’imaginer la précarité de son quotidien dès lors que l’absence d’indemnisation l’empêche de pourvoir à ses besoins.
Cet arrêt témoigne de la technicité grandissante de cette matière, laquelle ne peut être improvisée. La question de l’uniformisation des préjudices via des algorithmes, comme le projet DATAJUST, privant le juge de sa nécessaire marge de manœuvre, indispensable à la réparation intégrale car personnalisée n’est pas le seul combat. La question de pôles ou de juridictions spécialisées devient indispensable.
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