Il a souvent été scandé par les avocats spécialisés de l’imprudence de consolider précocement un enfant victime d’un dommage corporel, les conséquences pouvant être désastreuses pour ces derniers.
Pour rappel, la consolidation, date clef du processus d’indemnisation se définit ainsi qu’il suit : « C’est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ».
Cette notion présente de nombreux enjeux, le principal étant de fixer le point de départ de la prescription de l’action indemnitaire mais surtout opère une césure entre les préjudices temporaires et les préjudices définitifs. De fait, établir une date de consolidation implique d’avoir une image certaine et tranchée de l’étendue d’un préjudice, tant dans sa dimension organique, personnelle, sociale et professionnelle.
Or un enfant, par essence en croissance, ne peut pas renvoyer une image définitive de ses limitations avant sa majorité. Comment pouvoir dresser un tableau des possibilités ou des impossibilités professionnelles, sociales ou personnelles d’un adolescent de 12 ou 14 ans ?
La problématique est de donner une image prématurée car incomplète du préjudice d’une jeune victime.
Un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 mars 2021, (n°20-80.125) a illustré cet embarras en jugeant le cas d’une enfant accidentée tout d’abord consolidée à 13 ans selon, s’agissant d’un traumatisme crânien, un taux de 10 % avant qu’un second rapport d’expertise ne repousse la consolidation aux 17 ans de l’enfant, selon un taux de 72 %.
Entre ces deux taux s’étend un océan difficilement traversable.
Par le passé, bien trop souvent, il était estimé que la possibilité de rouvrir le dossier d’indemnisation en cas d’aggravation préservait les enfants de cette difficulté.
Or, le fait qu’une lésion, correctement appréhendée et évaluée par un expert pendant la minorité d’une victime, n’ait révélé l’ensemble de ses manifestations néfastes qu’après la fin de la croissance, ne permet pas d’obtenir l’indemnisation de ses dernières via une procédure en aggravation.
Juridiquement, il ne s’agit pas d’un préjudice nouveau ou aggravé, mais d’un préjudice existant dont les implications n’ont simplement pas toutes été appréciées et n’ont pu être indemnisées. Or un préjudice d’ores et déjà indemnisé, même de manière incomplète, ne peut plus faire l’objet d’une réévaluation ( Cass.Civ2 ; 3.02.200 n°98-13.234).
Une possibilité de dépasser cet écueil, d’abord accueilli par la jurisprudence, fut la mobilisation de la notion d’aggravation situationnelle. Dans cette occurrence, l’état séquellaire de la victime n’est pas modifié mais des circonstances ou des évènements modifient ses besoins ou révèlent une nouvelle dynamique de son préjudice. Traditionnellement il s’agit de l’exemple de la femme accidentée ayant des enfants.
S’agissant des jeunes victimes, un arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 janvier 2014 ( Cass.Civ2 ; 16.01.2014 n°13.11.353) a permis la prise en compte des nouvelles manifestations d’une lésion en les qualifiant de majoration des souffrances endurées comme des conditions d’existence. La haute juridiction a convenu que le déficit fonctionnel permanent s’était aggravé, justifiant une nouvelle demande indemnitaire, même si l’état séquellaire restait inchangé.
Or une décision rendue le 16.01.2020 par la Cour de cassation (Cass.Civ2 ; 16.01.2020 n°18-20287) a remis en question cet équilibre. Estimant que n’était pas rapportée la preuve d’une aggravation « objective », soit une majoration de la composante in capacitaire du déficit fonctionnel permanent, à l’inverse de la décision de 2014, la Cour a estimé qu’une action en aggravation n’était pas recevable, dès lors qu’il ne s’agissait d’un préjudice ni nouveau ni aggravé.
Une telle décision revenait à limiter les actions en aggravation à la constatation d’une modification de la lésion et non de l’état de santé de la victime. Effectivement il n’est entendable ni juridiquement ni médicalement d’une majoration des troubles des fonctions notamment cognitif et psychologique ne soient pas considérées comme aggravation de l’état de santé de la victime.
Deux décisions récentes rendue tant par la Cour de cassation que par le Conseil d’Etat semblent heureusement revenir à une application plus orthodoxe.
Effectivement un arrêt rendu le 8.10.2020 ( Cass.Civ2 du 08.10.2020 n°19.10158), a permis une revalorisation du déficit fonctionnel permanent non en raison d’une majoration objective de la lésion mais selon une « aggravation socio-professionnelle et son retentissement psychologique ».
Cette définition redonne toute sa substance à la majoration des troubles de fonctions, correspondant bien à une aggravation de l’état de santé, sous réserve que l’expert où le juge précise bien qu’elle entraine une augmentation du déficit fonctionnel permanent.
Surtout le Conseil d’Etat, via son arrêt du 19.02.2021 (n°439366) a apporté une précision d’importance. Selon cette haute juridiction : « Il n’est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation. ».
A l’occasion d’une problématique concernant la recevabilité d’un recours indemnitaire, le Conseil d’Etat assimile un préjudice aggravé et un dommage ayant été révélé dans toute son ampleur postérieurement à une décision.
Transposer cette notion aux actions en aggravation reviendrait à rendre celles-ci recevables en présence d’un dommage n’ayant pas révélé toute son ampleur lors d’une première évaluation, embrassant ainsi les nouvelles difficultés rencontrées par de jeunes victimes postérieurement à leur première consolidation.
L’enfant ne dispose pas, contrairement au principe de KENNARD, une faculté de récupération plus importante. Leur trajectoire de vie déjà modifiée par l’accident ne doit pas être définitivement paralysée par une consolidation trop précoce. Dans ces affaires la prudence de tous les intervenants, médecins, avocats ou juges est nécessaire.
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