Replacer une victime d’un dommage corporel apparaît théoriquement facile. Il ne s’agirait que d’une opération de comparaison puis de compensation entre deux situations, ancienne et pré traumatique à actuelle et post traumatique.
Pour autant, le nombres des espèces soumises à la Cour de cassation, témoigne que la mise en pratique du principe de la réparation intégrale est une entreprise délicate.
Effectivement, la richesse d’une vie humaine provient des potentialités qu’elle recèle, des perspectives dont chacun dispose pour permettre à sa situation d’évoluer.
Ces potentialités, par nature incertaines puisque futures, compliquent la situation des victimes d’un dommage corporel.
Faut-il automatiquement les déconsidérer au motif que, ne s’étant pas réalisées, cela reviendrait replacer toute victime dans une situation plus favorable que celle existante au jour de son traumatisme et ainsi lui octroyer un indu profit ?
La réponse est heureusement négative. Tout d’abord il est philosophiquement discutable de réduire une personne à sa situation actuelle. A l’extrême cela reviendrait à considérer qu’un enfant gravement traumatisé n’aurait jamais travaillé, fondé de famille ou connu d’intimité sexuelle.
C’est pourquoi les règles guidant l’indemnisation du préjudice corporel imposent la prise en considération de ces potentialités, pour peu qu’elles revêtent un caractère certain au regard du contexte particulier de la victime.
C’est le cas notamment, en matière médicale, pour évaluer l’étendue globale du préjudice corporel, via la perte de chance de guérison ou d’amélioration de l’état de santé causé par une prise en charge non conforme ou de la perte de chance de refuser une intervention, causé par un manquement au devoir d’information.
La prise en compte des projections aléatoires intervient aussi à l’occasion de l’évaluation de postes de préjudices particuliers, notamment professionnels, lorsqu’il s’agit d’évaluer au plus près la situation d’une victime ne travaillant pas encore au moment de l’accident.
Dans ces hypothèses l’indemnisation n’est pas intégrale, mais pondéré d’une perte de chance afin justement d’apprécier le caractère aléatoire des projections.
Cependant, il ne faut pas confondre déviation des trajectoires en raison d’un accident avec la modification d’un quotidien déjà établi.
Dans cette deuxième hypothèse l’accident prive définitivement une victime d’un avenir dont les contours sont déjà dessinés et la force à modifier son quotidien.
En cette occurrence, il est inenvisageable d’invoquer les éventuelles réorganisations mises en place par la victime pour adapter son quotidien, pour limiter son droit à indemnisation.
La question est régulièrement posée à la Cour de cassation s’agissant des victimes veuves ayant contracté une nouvelle union après le décès de leur conjoint.
Le calcul de leur préjudice économique est basé sur le couple qu’elle formait avec leur conjoint décédé en comparant la situation existant au jour du décès avec celle existant au jour ou le juge est amené à évaluer le préjudice.
Si naturellement il convient de prendre en compte les revenus actuels de la victime par ricochet, faut-il y ajouter ceux perçu par un nouveau conjoint ?
Une nouvelle fois, par un arrêt du 7 octobre 2020 ( n°19-17041) la Cour de cassation répond par la négative :
« L’arrêt retient à bon droit que si, après le décès de sa première épouse, M. P… s’est remarié et bénéficie de nouvelles ressources liées au salaire perçue par sa seconde épouse, celles-ci résultent de la réorganisation de son existence et ne sont pas la conséquence directe du décès, de sorte qu’elles n’ont pas à être prises en compte pour évaluer les préjudices économiques consécutifs au décès de C… P…. »
En effet, une victime survivante, doit nécessairement s’adapter à une nouvelle vie que lui impose le décès et toute amélioration de revenu procède d’un effort de réorganisation personnel ou d’une progression de carrière indépendante du décès (Cass Civ 2 12 février 2009 n°08-12706)
La récurrence de ce débat devant la Cour de cassation démontre malheureusement l’opposition de certains à ce principe. Espérons que cette décision, publiée au bulletin, videra ce contentieux de la liquidation du préjudice corporel de cette problématique.
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