La gourmandise des tiers payeurs confine parfois à l’incohérence, comme l’illustre un arrêt rendu le 21 novembre 2019 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (n°18-21272). La question concernait naturellement l’imputabilité d’une rente invalidité versées par une Caisse Primaire d’Assurance maladie sur l’indemnisation d’une victime d’un dommage corporel.
Depuis une décennie, malgré des critiques fondées sur la nature patrimoniale de cette rente et une opposition du Conseil d’Etat, la Cour de cassation persiste a l’imputer tant sur les postes de préjudices patrimoniaux que représentent les pertes de gains actuels comme futurs et l’incidence professionnelle que sur le poste extrapatrimonial que représente le déficit fonctionnel permanent.
A de nombreuses reprises, nous nous sommes inscrits contre cette jurisprudence car une telle rente n’a pas pour but de compenser les conséquences d’une incapacité physique ou physiologique, des souffrances ou des troubles dans les conditions d’existence.
Effectivement cette prestation ne compense qu’une perte de revenus et cesse d’être versée lorsque la victime retrouve un salaire (article L 341-12 et L 341-13 du code de la sécurité sociale), à la différence du déficit fonctionnel permanent, demeurant comme son nom l’unique perpétuel.
Ma la pratique est têtue, et parfois un peu trop.
Une femme, souffrant de fibromyalgie est victime d’un accident de la circulation. Lors de l’évaluation de son préjudice, la Cpam versant une rente invalidité évaluée en fonction des conséquences de l’accident mais aussi de celle de la fibromyalgie fit valoir sa créance.
De manière surprenante, la Cour d’appel décida d’imputer l’ensemble de la rente sur les préjudices professionnel et le déficit fonctionnel permanent alors que la victime indiquait que seule la part de la rente indemnisant l’invalidité provoquée par l’accident et non par sa maladie pouvait logiquement être déduite.
La censure de la Cour de cassation était évidente :
« Vu les articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu, selon ces textes, que les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel ;
Attendu que pour fixer à la somme de 18 870,40 euros la somme due à Mme L… en réparation de ses préjudices, l’arrêt retient que la rente capitalisée dont elle bénéficie de la part de la caisse primaire d’assurance maladie à hauteur de 137 601,46 euros doit être imputée sur les sommes allouées au titre des pertes de gains, d’incidence professionnelle et de déficit fonctionnel permanent, qu’elle absorbe en totalité ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle retenait que la fibromyalgie dont souffrait Mme L… ne devait pas être prise en compte dans l’évaluation du préjudice et que le retentissement sur la profession de Mme L… ne pouvait être imputé à l’accident qu’à hauteur de 10 %, de sorte que la rente invalidité qui indemnisait les pertes de revenus liées à l’ensemble des pathologies de la victime ne pouvait être déduite en totalité du préjudice indemnisable au titre de l’accident, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ; ».
Si la Cour de cassation ne profite pas de cette espèce pour protéger le déficit fonctionnel permanent de l’imputation d’une rente invalidité, elle rappelle néanmoins que dès lors que celle-ci est versée pour une cause autre que l’accident, elle ne peut être intégralement déduite.
Il appartient donc aux tiers payeurs de ventiler leurs créances afin de ne pas priver, dans des conditions encore plus draconiennes qu’actuellement, les victimes de dommages corporelles de leurs indemnisation intégrales.
Une harmonisation des règles s’impose. Il est alarmant de constater que prés de 13 ans après l’adoption de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 ayant posé la règle du recours poste par poste, de tels difficultés d’application perdurent.
Les procédures en indemnisation sont des processus extrêmement lourd pour les victimes et de telles difficultés participent incidemment d’une aggravation de leurs situations.
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