Un arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la 2e chambre civile de la Cour de cassation (n°18-21612), malgré une application classique des dispositions du code de la sécurité sociale appréciées à l’aune du principe de la réparation intégrale, porte les germes d’une petite révolution s’agissant du recours des tiers payeurs notamment en présence d’une rente due au titre d’un accident du travail.
Plusieurs fois, à l’occasion de cette chronique, il a été question du débat entourant le recours subrogatoire exercé par la CPAM, versant à une victime d’un dommage corporel, une rente au titre d’un accident du travail, lorsque ledit accident ouvre aussi droit à réparation intégrale du préjudice auprès d’un tiers responsable.
Effectivement, contrairement tant au Conseil d’état (CE 5 mars 2008 n°272447) qu’au projet d’article 1276 du code civil, la Cour de cassation juge depuis plusieurs années que cette rente, pourtant d’essence patrimoniale, puisque calculée sur un revenu, indemnise d’une part les potes patrimoniaux que sont les pertes de gains actuels comme futurs et l’incidence professionnelle mais aussi d’autre part le poste extrapatrimonial du déficit fonctionnel permanent (Cass Civ 2 ; 22 octobre 2009 n°08-18755).
Cette jurisprudence, pourtant constante, continue d’interroger.
Effectivement, en application de l’article 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, la loi impose de corréler chaque prestation versée par un tiers payeur à un poste de préjudice.
Théoriquement, seuls les postes patrimoniaux peuvent être soumis à ce recours.
Les postes extrapatrimoniaux ne sont pas concernés, sauf exception, lorsque le tiers payeur rapporte la preuve d’un versement effectif et préalable d’une indemnisation d’un poste préjudice personnel.
Or, contrairement à cette loi, alors d’une part que le déficit fonctionnel permanent est un poste de préjudice de nature extrapatrimonial, manifestement non corrélable à une rente accident du travail, laquelle est d’autre part versée selon des échéances trimestrielles viagères et non en une fois, la Cour de cassation juge tout d’abord que ce poste est corrélable à une telle rente mais surtout que le simple titre de rente permet de remplir la condition de versement effectif et préalable….
En réalité, il semble que la Cour de cassation déduise cette règle de la législation spécifique d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
En effet, un salarié victime d’un tel accident perçoit, sous certaines conditions, une rente. Cela étant, si ce dernier rapporte la preuve de la faute inexcusable de son employeur en application de l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale, il peut percevoir une indemnisation complémentaire.
Cette indemnisation comprend une majoration de sa rente ainsi des postes de préjudices prévus spécifiquement par l’article L 452-2 dudit code, ou plus généralement non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale depuis la décision du 18 juin 2010 n°2010-8 du conseil constitutionnel.
Dès lors que le déficit fonctionnel permanent n’est pas spécifiquement prévu par l’article L 452-2 précité, il est permis de penser que la Cour de cassation en déduit qu’il est nécessairement couvert par la rente accident du travail.
Outre le fait que cette déduction demeure bancale, car il faut convenir que ce n’est pas la rente en elle-même mais sa majoration prévue par l’article L 452-1 du code de la sécurité sociale qui serait susceptible de couvrir un tel poste, il apparait que cette définition des postes de préjudices par le code de la sécurité sociale ouvre de nouvelles perspectives.
En effet, alors la nomenclature DINTHILLAC, instrument adopté par les juridictions judiciaire pour l’évaluation et l’indemnisation des préjudices corporels en droit commun, considère la perte de chance de promotion professionnelle comme une composante de l’incidence professionnelle, le droit de la sécurité sociale distingue les deux.
Si l’incidence professionnelle est couverte par la rente (Cass. soc., 3 mai 2018, no 14-20.214) la perte ou la diminution de promotion professionnelle est indemnisée séparément.
Par l’arrêt du 7 novembre 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation consacre, en droit commun, le principe de l’autonomisation du préjudice de perte ou diminution des possibilités professionnelle, lorsqu’est versée une rente accident du travail.
Au cas d’espèce, un jeune homme, agent SCNF, est victime d’un accident de la circulation, également qualifiable d’accident du travail.
Une rente lui est octroyée sur le fondement des dispositions de code de la sécurité sociale et parallèlement la victime rechercha l’indemnisation intégrale de son préjudice à l’encontre de l’assureur du véhicule impliqué.
Constatant que l’accident avait entrainé une pénibilité permanente lors de l’exercice de sa profession, la Cour d’appel lui octroya une indemnisation de 20.000, 00 €, qualifiant, précision d’importance, le poste indemnisé de « perte de promotion professionnelle ».
La rente accident du travail, versé par l’établissement public SNCF MOBILITE étant supérieure à cette indemnisation, la Cour d’appel d’Aix en Provence jugea, sans surprise, que cette rente s’imputait sur les 20.000 €, désintéressant partiellement le tiers payeur et rien ne revenant à la victime.
Au visa du principe de la réparation intégrale, la Cour de cassation casse l’arrêt selon le motif suivant :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle indemnisait notamment ce qu’elle qualifiait de perte de chance de promotion professionnelle, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations, a violé les textes et le principe susvisés ; ».
Outre le rappel de l’importance de la qualification du préjudice par les juges du fonds La Cour de cassation estime donc, en application des dispositions du code de la sécurité sociale, que la diminution ou perte de promotion professionnelle n’est pas indemnisée par la rente accident du travail et qu’ainsi le tiers payeur n’a aucun droit à recours sur ce poste.
Si la décision apparait immédiatement heureuse, il convient de rester prudent.
Tout d’abord, si une partie de l’incidence professionnelle semble dorénavant préservée du recours des tiers payeurs, le déficit fonctionnel permanent demeure impacté.
Il s’agit donc d’une bienveillance en demie teinte pour une victime de dommage corporel. Seules les hypothèses ou des importantes diminutions professionnelles seront caractérisées malgré un faible déficit fonctionnel permanent pourront bénéficier de cette décision.
En outre, il est encore plus difficilement justifiable juridiquement de maintenir le déficit fonctionnel permanent, poste extrapatrimonial, dans le sillon du recours subrogatoire du tiers payeurs d’une rente accident du travail, alors qu’une partie de l’incidence professionnelle s’en échappe.
En revanche, la nouvelle position de la Cour de cassation laisse espérer une évolution sur le périmètre subrogatoire de la rente accident du travail et permet donc d’espèrer une future évolution s’agissant de sa position sur le déficit fonctionnel permanent.
La matière régissant l’évaluation et l’indemnisation du préjudice corporel est définitivement en évolution constante et sa mise en œuvre nécessite une expertise et une adaptation permanente afin de s’assurer d’une indemnisation intégrale. Naturellement Maître Thibault LORIN met à votre service ses connaissances et sa pratique pour vous accompagner à chaque stade indemnitaire.
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