Chaque année, des milliers de personnes sont victimes d’un accident de la circulation. Rien que pour l’année 2018, 69 887 personnes ont été blessées, 21 238 ont été hospitalisées et 3 248 personnes ont perdu la vie (Etude INSEE 2019).
Face à l’ampleur et à la récurrence de ce phénomène qui va croissant depuis les années 70, un texte spécifique a été adopté, : la loi du 5 juillet 1985 créant un régime spécial pour l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.
Il s’agit d’une loi dérogatoire au droit commun de la responsabilité régissant principalement les conditions de fonds et de forme dans lesquelles les conséquences d’un accident de la circulation seront assurés.
Effectivement, tout véhicule étant soumis à une obligation d’assurance en application de l’article L 211-1 du code des assurances, la présence d’un assureur, par définition solvable, guide la philosophie du régime.
C’est pourquoi, afin de favoriser la prise en charge par l’assureur, le comportement tant de l’auteur, que de la victime piétonne, sont peu pris en considération.
En effet, peu importe que le conducteur ait, ou non, commis une faute civile à l’origine de l’accident ; la victime aura droit à l’indemnisation de ses préjudices, sauf à démontrer que cette dernière a commis une faute inexcusable.
Il convient de rappeler les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 (1) puis les conditions d’exonération (2) avant de clôturer par la présentation de la procédure d’indemnisation (3).
Comme le rappelle l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 :
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres ».
En application de cet article, quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour qu’une victime d’un accident de la circulation puisse être indemnisée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, à savoir :
Le véhicule terrestre à moteur s’entend au sens de L’article L211-1 précise qu’on entend par « tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée »
Ainsi, ont été considérés, par la jurisprudence, comme des véhicules terrestres à moteur : les automobiles, les cars, les autobus, les camions, les motocyclettes, les scooters, les tracteurs, les engins de chantier, les remorques et les semi-remorques et même les tondeuses à gazon dès lors qu’elles sont motorisées et auto-portées.
En revanche, ne constituent pas des véhicules terrestres à moteur : les avions, les bateaux, les vélos ainsi que les trains.
Il en va de même des tramways circulant sur une voie qui leur est propre, comme le rappelle la Cour de cassation notamment lors d’un arrêt rendu le 5 mars 2020 (n°19-11411). Sur ce dernier point, de plus en plus contesté, le projet de réforme pour la procédure civile du 13 mars 2017 propose d’abandonner cette particularité propre aux tramways.
L’accident de la circulation :
Pour que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 trouvent à s’appliquer, il est nécessaire de caractériser l’existence d’un accident de la circulation, soit par définition un évènement fortuit et soudain.
Comme nous l’avons déjà écrit, il s’agit d’une notion aux 1001 visages. Si la Cour de cassation juge depuis longtemps que les accidents volontairement provoqués ne relèvent pas de cette loi (Cass Civ 2 30 novembre 1994 n°93-13399 93-13485), beaucoup d’autres hypothèses sont concernées, dépassant l’éternel carambolage auquel le concept d’accident fait immédiatement penser.
Sont effectivement des accidents, la pierre projetée dans un œil par un gyrobroyeur en mouvement (Cass Civ 2 : 31 mars 1993 n°91-18655), la chute sur la victime de bottes de pailles transportées lors d’un déchargement d’un camion en stationnement ( Cass Civ 2 ; 26 mars 1997 n°95-14995) ou encore certains actes de civilité comme le démontre l’arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la 2e chambre Civile de la Cour de cassation (n°18-20910).
Au cas d’espèce, un homme, sur demande d’une femme, a redressé un scooter sur la chaussée mais a chuté dans le mouvement de redressement et a ressenti une violente douleur à l’avant-bras.
Sollicitant l’indemnisation de son préjudice corporel en tant que victime d’un accident de la circulation, l’assureur a estimé que le fait de relever le scooter était volontaire et relevait de sa propre initiative, ne permettant pas la mobilisation de la loi.
La Cour de cassation casse l’arrêt sur le fondement de l’article 1 de la loi précitée : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la victime s’était blessée en relevant un véhicule terrestre à moteur et qu’elle avait ainsi été victime d’un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, la cour d’appel a violé le texte susvisé par refus d’application ; ».
Ce n’est que lorsque les conséquences corporelles ou matérielles sont volontairement recherchées ou assumées que le fait les ayant provoqués ne peut être considéré comme un accident de la circulation.
A l’inverse si un fait, même volontaire, entraine de telles conséquences imprévues, la loi est applicable.
Au cas d’espèce, la victime n’avait jamais recherché ni même anticipé la rupture de la portion distale du tendon du biceps droit, à la suite du mouvement d’effort au soulèvement, même si celui-ci était volontaire.
Par ailleurs, cet accident de la circulation peut se réaliser aussi bien sur une voie publique que sur une voie privée et que le véhicule soit en mouvement ou stationné.
L’implication du véhicule dans l’accident :
Pour que la loi du 5 juillet 1985 soit applicable, la victime doit en outre rapporter la preuve qu’un véhicule a été « impliqué » dans son accident.
La loi n’exige pas une faute du conducteur mais une simple implication d’un véhicule dans l’accident.
Cette notion, unique en droit de la responsabilité a inévitablement conduit à des appréciations diverses et variés, les avocats comme les magistrats faisant montre de trésors d’imaginations pour la retenir ou pour l’exclure.
La Cour de cassation a tout d’abord et rapidement précisé que la charge de preuve incombait à la victime (Cass Civ 2 28 mai 1986) puis posé comme définition « l’intervention (du véhicule) d’une manière ou d’une autre dans cet accident » (Cass civ 2 28 février 1990).
Un acquis s’est cependant dégagé, à savoir l’implication automatique de tout véhicule heurté qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement (Cass Civ 2 25 janvier 1995).
La difficulté est donc circonscrite aux hypothèses d’absence de contact, dans lesquels une victime, pour être indemnisée, doit prouver qu’un véhicule en mouvement ou à l’arrêt est impliqué dans l’accident de la circulation lui ayant causé un dommage.
Pendant plusieurs années, la Cour de cassation jugeait qu’un véhicule immobile ne pouvait être impliqué que s’il perturbait la circulation (Cass Civ 2 21 juillet 1986). Cette solution a été abandonnée par un arrêt du 23 mars 1994 rendu par la même composition (solution rappelée dans un arrêt du Civile 2ème, 2 mars 2017, Pourvoi n°16-15562)
En l’absence de contact, il appartient alors à la victime de rapporter la preuve que le véhicule terrestre à moteur (en mouvement ou à l’arrêt) a joué un « rôle quelconque » dans l’accident, cette dernière n’a pas à démontrer que ce véhicule a eu un rôle perturbateur.
L’imputation du dommage à l’accident :
Enfin, pour qu’une victime puisse être indemnisée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, il lui appartient de rapporter la preuve que son dommage est imputable à l’accident et non à une autre cause ou à un état antérieur.
2 L’exonération de l’auteur de l’accident :
L’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 dispose :
« Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er ».
L’article 2 de la loi interdit donc au conducteur ou au gardien du véhicule terrestre à moteur, impliqué dans l’accident, de s’exonérer de sa responsabilité par la preuve d’un cas de force majeure ou par le fait d’un tiers.
L’article 3 de la même loi dispose :
« Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident.
Les victimes désignées à l’alinéa précédent, lorsqu’elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 p. 100, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis.
Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi ».
En réalité, les seuls cas dans lesquels le conducteur ou le gardien pourrait s’exonérer de sa responsabilité sont les suivants : le fait volontaire écartant la notion d’accident et la faute inexcusable de la victime qui au surplus doit être la cause exclusive de l’accident.
Une telle faute ne peut toutefois pas être opposée à la victime qui en est l’auteur si, au moment de l’accident, elle avait moins de 16 ans ou plus de 70 ans, ou si elle était titulaire d’un titre lui reconnaissant un taux d’incapacité permanent ou d’invalidité au moins égal à 80 %.
La Cour de cassation a définit la faute inexcusable comme « une faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Cour de cassation, Civile 2ème, 20 juillet 1987, Pour n°86-16287).
Ainsi, force est de constater que les hypothèses dans lesquelles le conducteur ou le gardien d’un véhicule peut s’exonérer de sa responsabilité sont très restreints.
La loi du 5 juillet 1985 cherche à favoriser les règlements amiables des procédures, notamment en contraignant les assureurs par des délais.
Tout d’abord L’article 12 de la loi codifié à l’article L. 211-9 du code des assurances, prévoit que « l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter dans un délai maximal de huit mois à compter de l’accident une offre d’indemnité à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ».
En plus de ce dispositif d’offre, le législateur français a décidé d’appliquer aux accidents de la circulation celle prévue par la quatrième directive automobile n° 2000/26/CE du 16 mai 2000 aux accidents transfrontaliers.
L’article 83-I de la loi du 1er août 2003, transposant ladite directive a ainsi imposé une obligation supplémentaire à l’assureur. L’article L. 211-9 du code des assurances, a été complété disposant que « quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n’est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n’a pas été entièrement quantifié, l’assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande ».
L’assureur doit donc présenter une offre de provision dans les 3 mois à compter d’une demande d’indemnisation, laquelle ne deviendra définitive que dans les 5 mois de la date à laquelle l’assureur aura eu connaissance de la date de consolidation.
Mais de nombreux pièges truffent cette procédure amiable. Effectivement, alors que la Cour de cassation juge de manière constante que tout préjudice, non visé lors d’une procédure peut être indemnisé à l’occasion d’une seconde sans que l’on puisse opposer l’autorité de la chose jugée de la première, il n’en va pas de même s’agissant de la procédure transactionnelle régie par la loi du 5 juillet 1985.
Souvent la transaction comprend une clause spécifiant que la victime reconnait être dédommagée de tout son préjudice et renonce à toutes actions ultérieures ( sauf hypothèse d’une aggravation de son état de santé). Or la Cour de cassation rappelle, de façon constante, que la signature d’une telle transaction couvre tous les préjudices débattus lors l’expertise même si ils ne sont pas mentionnés dans la transaction ( Cass Civ 2 ; 16 janvier 2020 n°18-17677).
Plus grave encore, à l’inverse de l’essence même d’une transaction, la Cour de cassation juge que l’absence de concessions réciproques n’entache pas la validité du contrat (Cass Civ 2 ; 16.11.2006 n°05-18631) :
« Qu’en statuant ainsi, alors que la loi du 5 juillet 1985 instituant un régime d’indemnisation en faveur des victimes d’accident de la circulation, d’ordre public, dérogatoire au droit commun, qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l’acceptation par la victime de l’offre de l’assureur et que cette transaction ne peut être remise en cause à raison de l’absence de concessions réciproques, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »
Il est donc très périlleux de se lancer dans une procédure d’indemnisation régie par la loi du 5 juillet 1985 sans être accompagné d’un avocat compétent, maitrisant parfaitement le processus.
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